Le 10/10/2023, à 22:38, Raoul SALZBERG a écrit :
Après l'attaque barbare du Hamas contre Israël, la seule question à se poser demeure : Comment cela est-il possible ? A la base, il y a le fanatisme religieux qui se déchaîne contre les infidèles et les mécréants, contre ceux qui ne partagent pas le même crédo religieux. Ce fanatisme religieux est condamnable sans excuses. Mais il y a aussi, et cela est beaucoup plus important, les campagnes honteuses du gouvernement religieux de Benjamin Netanyahou, prônant ouvertement une nouvelle Nakba, c'est-à-dire le bannissement de la population arabe d'Israël, afin de réaliser un État purement juif appelé Israël. Cela s'appelle de la purification ethnique. C'est cela essentiellement qui génère une haine monstrueuse dans les populations arabes d'Israël et de sa région. Cela se comprend, et, malheureusement, cela ne connaît pas de limite. Comme la barbarie de l'attaque du Hamas est horrible, le fait de souligner cette frustration basique chez les Palestiniens est occultée. Il est des mots qui sont exclus de la propagande qui s'abat dans les médias français : apartheid, purification ethnique, expulsions. Tout est bon pour ne parler que des scènes abominables des massacres commis par le Hamas. Et ceux qui, comme moi, essaient de nuancer ce déchaînement de violence en revenant aux causes premières, sont priés de se taire. La riposte de Netanyahou est attendue, correspondant au choc produit par ces massacres honteux. C'est là qu'apparaît clairement que ce ne peut être une vengeance aveugle ne faisant pas de quartier, comme beaucoup en France le voudraient, Le gouvernement français balance entre abandonner purement et simplement la population de Gaza à l'ivresse vengeresse des soldats de Tsahal puis, réflexion faite, à vouloir apporter de l'aide à cette population de Gaza. Du coup, les questions de fond surgissent : comment arriver à une paix durable après tous ces évènements ? Pour cela, il faudra trouver des interlocuteurs autour d'une table. Qui devront réussir à se mettre d'accord pour une paix acceptable par tous. Et le seul vrai débat va porter sur la purification ethnique voulue par Netanyahou, qu'aucun palestinien n'acceptera. En 1948, la solution a été trouvée par une guerre victorieuse des israéliens, sans négociations de paix. Cela semble difficilement possible aujourd'hui, car cela produirait un embrasement du Moyen Orient d'une durée et d'une férocité inimaginables. Les protagonistes ont changé, l'holocauste n'est plus une raison valable pour que les grands de ce monde acceptent de faire une place aux juifs persécutés. En France, le gouvernement et les médias sont complètement déconnectés de ces enjeux. C'est un déluge d'appels à la vengeance, à la dénonciation de l'antisémitisme, à la dénonciation de ceux qui refusent cette réaction primaire et imbécile qui ne fait que mettre de l'huile sur le feu. En refusant de traiter la question palestinienne, qui reste un abcès purulent. Contre ceux qui assimilent antisionisme et antisémitisme, je tiens à redire, en tant que juif rescapé de l'holocauste, que je suis résolument antisioniste. Le sionisme, en dehors du fait que c'est une idéologie raciste prônant l'apartheid, est, je l'espère, voué à l'échec à long terme. Comme les républiques islamistes que sont l'Iran, l'Arabie Saoudite et l'Afghanistan. Il faudra toutes les énergies des laïcs du monde entier pour combattre ces doctrines obscurantistes et moyenâgeuses. De même qu'il faudra aussi combattre un capitalisme décadent, semant la guerre et la misère. Mais ceci est une autre histoire. Ci-joint le témoignage d'un intellectuel palestinien le 13 août 2023, publié dans la revue L'Internationale N° 31, datée de août 2023. Ce palestinien prône la seule solution stable à long terme, à savoir un Etat unique laïc s'appelant la Palestine, unissant harmonieusement juifs et arabes sans ségrégation ni haine.
Entretien avec un militant palestinien dans la revue L’Internationale n°31 en Août 2023
Il y a trente ans étaient signés les accords d’Oslo, sous l’égide de l’impérialisme américain, entre les représentants de l’OLP et de l’État sioniste. Trente ans plus tard, tu dis que ce qui se passe quotidiennement à Jérusalem ou en Cisjordanie, ce sont de « petites Nakba », peux-tu nous expliquer pourquoi ?
Les accords d’Oslo ont fait miroiter la possibilité de créer un État palestinien à côté de l’État d’Israël et renoncer au droit au retour des réfugiés chassés de chez eux en 1948. Après trente ans de négociations sans fin, l’État promis n’a aucune chance d’exister, mais, en revanche, la colonisation rampante (des territoires occupés après 1967 – ndlr) a progressivement réduit le territoire de ce pseudo-Etat (l’Autorité palestinienne – ndlr) de 22 % de la surface de la Palestine historique au moment des accords d’Oslo à environ 10 % trente ans plus tard, tandis que le nombre de colons est passé de 160000 en 1993 à 800000 en 2022,
Avec les victoires historiques récentes de l’extrême droite sioniste, nationaliste et religieuse, l’espace de la Palestine historique passe réellement sous le contrôle d’un seul État, l’État d’Israël.
Or, l’État juif, exclusivement juif sur toute la Palestine, est l’aboutissement du projet sioniste initial. Un projet basé sur le nettoyage ethnique, l’apartheid légalisé et le refus d’admettre l’existence de l’autre : le peuple palestinien.
En 1948, il a fallu détruire 700 villes et villages palestiniens et expulser leurs habitants pour créer l’État d’Israël. Il s’agit de la Nakba, la « catastrophe », qui a anéanti la société palestinienne en faisant perdre la qualité de citoyen dans son pays à presque 60 % des palestiniens, qui sont devenus des réfugiés. Soixant-quinze ans après la création de l’État d’Israël, le projet sioniste n’a pas changé ; il vise la transformation de la Palestine tout entière en une terre possédée par les seuls israéliens juifs, vivant dans un Etat exclusivement juif, où il n’y a aucun droit pour les Palestiniens.
Ce projet initial du sionisme trouve dans les partis sionistes, nationalistes et religieux qui dirigent Israël actuellement l’outil nécessaire pour accomplir l’expulsion définitive de tous les Palestiniens et compléter ce qui a commencé en 1948. Les dirigeants de ces partis déclarent publiquement qu’ils travaillent pour provoquer une nouvelle Nakba généralisée. Les attaques des colons sous la protection de l’armée israélienne des villages de Hiwara, de Burqa, de Tormosaia et autres, et les attaques incessantes des quartiers palestiniens de Jérusalem, comme le Cheikh Jarrah, Silwan, l’esplanade de la mosquée d’al-Aqsa, constituent le quotidien du peuple palestinien.
Quatre-vingt-un civils palestiniens ont été tués par les soldats et par les colons armés depuis le début de cette année, et 246 ont été blessés par balles. Le nombre de maisons détruites par l’armée s’élève à 185 dans la même période. Le nombre d’arrestations, y compris d’enfants mineurs, est de 998 (rapport de l’OCHA-ONU, 30 mars 2023).
Il y a un mouvement grandissant dans la société palestinienne qui, rejetant Oslo et la partition, cherche les voies d’une solution démocratique fondée sur un seul Etat pour tous ses citoyens. Comment, selon toi, dans ce processus, prendront leur place les juifs qui rompront avec le sionisme ?
Rompre avec le sionisme signifie l’acceptation de l’autre, le peuple palestinien. Cette reconnaissance du partenaire palestinien dans un État inclusif, un État basé sur les valeurs de la citoyenneté, signifie la fin du sionisme, la fin de ce « hold-up », de cette idéologie sur la conscience juive.
Il n’y a aucune hostilité envers le juif en tant que tel dans la culture sociétale palestinienne, alors que les juifs, débarrassés de cette idéologie raciste trouveront tout naturellement leur place dans la Palestine de demain.
Concrètement, dans tous les groupes de One Democratic State (ODS), il y a des camarades juifs débarrassés du sionisme. Ils préfigurent cette idée de citoyenneté partagée entre Palestiniens et juifs israéliens. Ils montrent l’exemple de ce processus démocratique de coexistence et d’assimilation future dans une seule identité palestinienne, une identité multiple et plurielle.
Dans le groupe ODS dont je suis un participant actif, nous avons des camarades juifs qui partagent avec nous cette vision heureuse (https://www.odsi.co/fr).
A la barbarie sioniste a répondu la barbarie du Hamas
Les juifs du monde entier, dont je fais partie, seraient beaucoup plus tranquilles si l’État d’Israël n’existait pas.
Au sein de la communauté juive existe le même contentieux qu’a vécu Baruch Spinoza au XVIIème siècle à Amsterdam : il a dû batailler ferme pour opposer un esprit rationnel et scientifique aux élucubrations religieuses obscurantistes de ses pairs. Bien que n’étant pas athée.
Le mépris et l’arrogance des intégristes juifs est le même que celui des islamistes radicaux d’aujourd’hui et d’hier.
Il est le même que celui des chrétiens radicaux d’aujourd’hui et d’hier. Ce que le pape François cherche à balayer, et il faut lui en savoir gré.
A l’ordre du jour, c’est le combat de la raison, celui des grecs anciens, celui du siècle des lumières (le XVIIIème), contre l’abomination des insensés religieux intégristes, de même nature que celle des insensés nazis.
Ce n’est donc pas aujourd’hui le combat des juifs contre les islamistes, mais bien celui, au sein des juifs, de la raison contre la religion. Comme au sein des islamistes.
A cela vient s’ajouter le combat des exploités contre les exploiteurs, des prolétaires contre les capitalistes. Si le capitalisme est efficace, c’est au prix de l’exploitation de la majorité de la population, ce qui, à terme, le rend nuisible et néfaste, donc à rejeter, car il engendre les guerres et la misère.
L’alliance de Joe Biden et consorts avec Netanyahou, c’est celle de l’impérialisme US avec l’obscurantisme et le racisme religieux juif.
La barbarie du Hamas le 7 octobre, qui a massacré les juifs des kibboutz des environs de Gaza, a permis de faire resurgir le problème palestinien, qui, sinon, était menacé d’enterrement, avec, à la clé, un exode massif des arabes de Cisjordanie, pour faire la place à un grand État juif.
Pourtant, les habitants juifs ainsi atrocement massacrés, étaient plutôt progressistes et rationnels, contrairement au gouvernement Netanyahou. Je pleure ces morts qui me sont proches et dont je porte le deuil. Ce sont des voisins, qu’ils connaissaient, qui les ont tués.
Mona Chollet 29 octobre 2023 à 19h00
ColèreColère, accablement face à l’accumulation des souffrances insoutenables qui défilent sur nos écrans, sentiment d’injustice torturant, panique devant le déferlement de la propagande de guerre, angoisse mortelle devant ce cataclysme et ses probables répercussions : ces deux dernières semaines, rivée aux informations en provenance d’Israël-Palestine, j’ai eu plusieurs fois l’impression – comme beaucoup, je crois – de perdre la tête.
Il y a d’abord ce télescopage permanent entre deux grilles de lecture contradictoires, qu’on pourrait appeler la grille « héroïque » et la grille « coloniale ».
En Europe et aux États-Unis, l’État israélien reste perçu au seul prisme de la Shoah, comme le refuge des victimes de l’antisémitisme européen, de sorte qu’un halo d’innocence inamovible, systématique, irréel, entoure toutes les actions de son appareil gouvernemental et de son armée. Quoi qu’il puisse faire, cet État est le héros ou la victime, il incarne la vertu, et toute critique à son encontre ne peut se comprendre que comme une manifestation d’antisémitisme.
En revanche, le monde arabe – qui n’est pour rien, lui, dans le génocide des juifs d’Europe – et le Sud en général voient Israël tel qu’il est aussi. C’est-à-dire, plus prosaïquement : un État surarmé, soutenu inconditionnellement par la première puissance mondiale, fondé sur le colonialisme, sur le massacre ou l’expulsion, en 1948, d’une grande partie des Palestiniens ; un État qui occupe illégalement la Cisjordanie et Gaza en ignorant les résolutions de l’ONU et qui y mène une politique d’apartheid (« développement séparé ») en multipliant les exactions et les confiscations de nouvelles terres, de nouvelles maisons.
Si terrible qu’elle ait été, l’attaque du Hamas n’a rien changé à ce rapport de forces radicalement déséquilibré entre occupant et occupé (lire notre entretien avec Michel Warschawski).
Vue de la bande de Gaza, bombardée par l'armée israélienne, 29 octobre 2023. © Fadel Senna / AFP
La mémoire du colonialisme – et non la solidarité religieuse – est déterminante dans le soutien des pays arabes aux Palestiniens (c’est le cas en Algérie, en particulier). Ce soutien s’explique aussi parfois par une expérience directe, concrète, des conflits du Proche-Orient. Il y a quelques années, une de mes amies, une artiste libanaise qui vit en France et qui a gardé un stress post-traumatique des années de guerre, avait été invitée à participer à un festival en Israël. Elle m’avait demandé pensivement : « Est-ce que tu crois que je peux leur dire que je leur en veux quand même un peu d’avoir bombardé ma maison ? »
Comme le résume le chercheur Gilbert Achcar, « en dehors du monde occidental, on ne voit pas les Israéliens – je ne parle pas des juifs en général, mais bien des Israéliens – comme des héros ou des victimes, mais comme des colons, protagonistes d’un colonialisme de peuplement ».
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